Mark Rothko ou le peintre de la quatrième dimension.

Mark Rothko (1903-1970), de son vrai nom Marcus Rothkowitz originaire de Russie, est venu habiter aux Etats-Unis à l’âge de 10 ans. Il a suivi des études d’art dans un premier temps à Yale entre 1921 et 1923, puis à l’Art Students League de New York sous la direction de Max Weber. Il commença à exposer ses peintures à partir de 1933 (1). Il met fin à ses jours en 1970.

Mark Rothko, Head of Woman (Sonia Rothkowitz), ca. 1932, huile sur toile, 44,1 x 37,1 cm, Washington, The National Gallery of Art, http://www.nga.gov/content/ngaweb/Collection/art-object-page.69281.html, [consulté le 12 avril 2015]

Mark Rothko, Head of Woman (Sonia Rothkowitz), ca. 1932, huile sur toile, 44,1 x 37,1 cm, Washington, The National Gallery of Art.

Rothko est un artiste complexe, dont la peinture reflète les multiples facettes de sa personnalité : il commence par peindre des œuvres plutôt figuratives dites de la période de la « figuration expressionniste »(2), puis il continue à peindre en étant influencé par le surréalisme (« Je me dispute avec l’art surréaliste et avec l’art abstrait comme on se dispute avec un père et une mère »(3)) qui traduira son attachement pour les mythes. Nous pouvons voir l’un de ses tableaux de « jeunesse », Tête de femme, radicalement différent des œuvres qu’il produira par la suite, qui s’inscrirons dans le mouvement de l’expressionnisme abstrait. Il entretient en effet des liens très étroits avec Barnett Newman avec qui il établit un nouveau mouvement pictural et pose les fondements d’une avant-garde américaine afin de se distinguer complètement de l’art européen. Newman et Rothko feront partis des colorfield painters c’est-à-dire qu’ils privilégieront des aplats de couleurs vives (4) dans le but de supprimer toute profondeur en perspective, et ainsi immerger le spectateur dans une nouvelle dimension.

Le choix du terme « dimension » n’est pas un hasard puisqu’il faut remarquer que Rothko a notamment été influencé par son mentor Max Weber, mais aussi par d’autres auteurs tels que Guillaume Apollinaire ou encore P. D. Ouspensky qui se sont penchés sur la question de la quatrième dimension. Pour ces penseurs du début du XXe siècle, la quatrième dimension est liée à l’infini et à la pleine-conscience (« The fourth dimension is the immensity of all things and the dimension of infinity », M. Weber in Camera Work 31 (5) [la quatrième dimension est l’immensité de toute chose et la dimension de l’infini]), où tous nos repères spatio-temporels non plus lieu d’exister. Les artistes auront donc vocation à créer un nouveau langage pour délivrer la Vérité (« […] to create a new language that would reveal a higher truth »(6). Mark Rothko s’inscrira dans la continuité de ces artistes grâce à ses peintures, nourries de la philosophie de ses prédécesseurs.

Mark Rothko, No.10, 1950, huile sur toile, 229,6 x 145,1 cm, New York, MoMA. http://www.moma.org/collection/browse_results.php?criteria=O%3AAD%3AE%3A5047%7CA%3AAR%3AE%3A1&page_number=12&template_id=1&sort_order=1 [consulté le 15 avril 2015]

Mark Rothko, No.10, 1950, huile sur toile, 229,6 x 145,1 cm, New York, MoMA.

C’est à partir de 1948 que la peinture de Rothko commence à montrer des signes d’expressionnisme abstrait. Il accorde de plus en plus d’importance aux couleurs et aux relations entre l’espace de sa peinture et l’échelle de ses toiles (7), qui sont en général de très grands formats. Toutefois, on peut déceler des différences entre les peintures No.1 (1948) et No.10 (1950) notamment dans la simplification des formes et des couleurs, ainsi que dans le changement du format puisqu’on passe d’un format presque carré à un format rectangulaire étiré en hauteur comme si Rothko avait voulu simplifier sa peinture et la faire coïncider avec la hauteur d’un homme afin d’immerger davantage le spectateur.

Rothko, N°1, 1948

Rothko, N°1, 1948, huile sur toile, 270 x 297,8 cm, New York, MoMA.

La peinture de Mark Rothko est par conséquent une peinture immersive qui trouve sa source à la fois dans les théories philosophiques du début du XXe siècle ; mais aussi dans la physique avec la théorie de la relativité d’Einstein qui fait précisément référence à cette quatrième dimension ; ou encore au sublime des Romantiques que Newman avait repris dans ces essais… L’abstraction en peinture est souvent à considérer au-delà des simples pigments qui composent la toile, elle peut être considérée comme la traduction physique et tangible de réflexions philosophiques et mystiques. Ces peintures auront ainsi vocation à nourrir la spiritualité de chaque individu, d’élever son esprit, à condition que ce dernier puisse prendre le temps de se laisser immerger par elles.

Audrey S.

Notes :

Sources :

Malevitch et son carré noir

Casimir Malevitch, aux côtés de grands peintres tels que Kandinsky, Mondrian et Klee, est la figure la plus importante dans l’histoire de la peinture abstraite. Peintre russe d’origine polonaise, il naît à Kiev en février 1878 dans une famille catholique. La religion est restée pour toujours très chère à son cœur. Elle a influencé très fort son admiration pour l’iconographie et le symbolisme dans son art.

Malevitch est un fondateur du mouvement suprématisme qui a révolutionné l’art du XXème siècle. Le suprématisme est « une première théorie de la peinture pure (non objective), qui apparaît en Russie en 1915″. (1) Sa théorie suprématiste décrit parfaitement sa vision théorique de la peinture représentée par des objets de purs sentiments et perception. Son art se manifeste par sa pensé spirituelle. Sa recherche du mysticisme et d’une expression absolue de l’art, le conduit à la condamnation sociale et la persécution par le pouvoir communiste.

Sa participation au cercle futuriste a été une étape importante. Avec Taline, Morgounov et Kroutchenyk, il publie en 1913 le manifeste futuriste. Pourtant un moment le plus évident dans la carrière de Malevitch a été la création d’un opéra futuriste Victoire sur le Soleil, dans la quelle pour la première fois il présentera la vison du Carré Noir sur le Fond Blanc et dira « Le suprématisme est né à Moscou en 1913« (2).

Huile sur toile – 79,5 cm × 79,5 cm Musée Russe, Saint-Pétersbourg, Russie.

Huile sur toile – 79,5 cm × 79,5 cm
Musée Russe, Saint-Pétersbourg, Russie.

L’année 1915 marque également sa carrière. Après la fameuse exposition futuriste 0.10 à Saint-Pétersbourg, il organisera sa première rétrospective pendent l’exposition de l’avant-garde russe- Tramway V dans laquelle il présente le contraste entre constructivisme et suprématisme, aux côtés de Vladimir Taline, créant l’art majeur dans l’évolution de l’art.

1915 est aussi l’année de la création du déjà célèbre tableau Carré noir sur Fond Blanc qui, cette année, fête son centième anniversaire. C’est une œuvre qui pour toujours a révolutionné l’art de l’avant-garde russe ainsi que de nombreux artistes en Europe et aux Etats-Unis qui ont rejoint le cercle de l’abstraction.

Son Carré Noir sur Fond Blanc fait un véritable scandale en Russie, la surface du tableau créé une impression d’être vivant. Les couleurs minimalistes du noir et du blanc seuls soutiennent la force et la transmission que porte cette œuvre. Sa fantaisie, son mysticisme se retrouvent dans la présentation de l’icône que propose Malevitch. Avec son carré noir il provoque, il découvre son rôle spirituel et convention artistique. Pourtant l’art de Malevitch n’était pas très bien reçu par la plupart de ses contemporains et surtout par la pouvoir militaire. La réaction du critique Alexandre Benois après son premier regard sur le Carré noir a conclu : “Ce n’est plus le futurisme que nous avons à présent devant nous, mais la nouvelle icône du carré. Tout ce que nous avions de saint et de sacré, tout ce que nous aimions et qui était notre raison de vivre a disparu”. (3)

Photographie de l’espace Malévitch de la dernière exposition fututriste : 0.10 qui a eu lieu en 1915 à Petrograd.

Photographie de l’espace Malévitch de la dernière exposition fututriste : 0.10
qui a eu lieu en 1915 à Petrograd.

Cependant la défaveur de certains artistes et connaisseurs, ont motivé Malevitch dans ses recherches du spiritualisme. “Le peintre doit savoir à présent ce qui se passe dans les tableaux et pourquoi » Son carré noir sur fond blanc fait-elle une réduction totale de la peinture. La forme et la couleur ne sont plus dominés par la nature mais ils sont libres. Cette liberté se manifeste par l’abstraction offrant un spectacle irrésistible qui démontre sa pensé mystique. Avec cet œuvre Malevitch propose une nouvelle peinture qui est créée par des formes non figuratives, par la liberté symbolique et iconographique.

Le plus précieux dans la création picturale, c’est la couleur et la texture; elles constituent l’essence picturale que le sujet a toujours tuée. »(4)  Ses recherches très radicales du spiritualisme dans l’art, très proches de son collègue Vassili Kandinsky le conduisent vers absolu pure. Quel il démontra en 1918 avec la création du Carré Blanc sur le Fond Blanc.

Nicolas Souétine avait organisé les funérailles de Malévitch en 1935.

Nicolas Souétine avait organisé les funérailles de Malévitch en 1935.

L’art de Malevitch, pour plupart d’entre nous est très révolutionnaire, très novateur. A côté de Kandinsky, Marc et Mondrian, c’est pourtant sa figure qui couronne sur le trône  de l’avant-garde. L’admiration des spectateurs ne pouvais pas lui rassurer la vie tranquille qu’il méritait. Après la révolution russe de 1917 et le début du pouvoir communiste, le rêve de carrière est devenu son véritable cauchemar. Il est mort jeune, le 15 mai 1935 à Leningrad, oublié et humilié par le pouvoir soviétique.

Pourtant avec le temps, l’histoire lui a rendu hommage, le mettant au panthéon des artistes les plus illustres du XXème siècle. Ce peintre, penseur théoricien, sculpteur et dessinateur était une figure qui a devancé son temps et révolutionné l’art par sa pensé et sa recherche de la spiritualité absolue. Pour conclure je voudrais citer les mots de Malevitch disant que “Seuls les peintres bornés et impuissants dissimulent leur art sous la sincérité ». (5)

Gabriela P.

Citations: 

1) http://www.universalis.fr/encyclopedie/suprematisme/ 

2- 5 )http://art-zoo.com/kasimir-malevitch/

Sources:

– A.NAKOV., Malévitch : Aux avant-gardes de l’art moderne,Gallimard, 2003

– NÉRET., Kazimir Malévitch et le suprématisme : 1878-1935,Taschen

– S. MALEVICH, Le miroir suprématie, L’âgé Homme, Lausanne, 1977

–  Encyclopédie Universalise

–  http://art-zoo.com/kasimir-malevitch/

–  https://www.youtube.com/watch?v=sYZVQNYhDyA

Barnett Newman et le mysticisme

Newman, Sans titre, 1945, 1945, encre sur papier, 50,8 x 37,8 cm, The Metropolitan Museum of Art, New York.

Newman, Sans titre, 1945, 1945, encre sur papier, 50,8 x 37,8 cm, The Metropolitan Museum of Art, New York.

Barnett Newman (1905 – 1970) est connu pour avoir été l’un des chefs de file de l’Expressionnisme Abstrait (appellation qui n’a jamais été revendiquée par le peintre), mouvement caractéristique des Etats-Unis. Ce qui a participé à la particularité de ce peintre c’est qu’il a procédé à une destruction de ses œuvres dites « de jeunesse » (1), ce qui fait qu’il nous reste peu de ses peintures datées d’avant 1940. En 1948, il peint Onement I : c’est sans doute l’œuvre qui aura marqué un tournant décisif dans la carrière de Newman. En effet, il abandonne l’agencement de différentes formes sur ses toiles comme dans ce dessin non-titré, daté de 1945 et conservé au Metropolitan Museum of Art, pour se consacrer à un épurement de ses peintures. Celles-ci se caractériseront désormais par des aplats de couleurs dont la seule structure visible émanera de ce qui deviendra sa signature : les zips (2).

Des écrits de l’artiste subsistent et nous permettent de comprendre quelles ont été ses influences. Ses toiles relèvent de l’abstraction, et en cela, elles font appel à d’autres dimensions, il dit par ailleurs : « The present painter is concerned not with his own feelings or with the mystery of his own personality but with the penetration of his own mystery »(3) (le peintre actuel n’est pas seulement concerné par ses propres sentiments ou par le mystère de sa propre personnalité, mais par la clairvoyance de son propre mystère/mysticisme). Cela peut nous paraître quelque peu hermétique de prime abord, mais il faut comprendre les références de Newman à savoir le mystery qui correspond davantage à une forme de mysticisme qu’à un simple mystère. Appuyons-nous sur la définition que nous trouvons dans le catalogue d’exposition, The Spiritual in art : abstract painting 1890-1985 : le mysticisme vient du terme grec mustēs qui signifie « initié », qui vient lui-même de muein dont le sens est de « fermer les yeux (ou la bouche) ». Aujourd’hui, ce terme est lié, même s’il s’en différencie, aux sciences occultes, à l’ésotérisme, à la magie : à ce qui est donc spirituel (4). Le mysticisme fait référence à la transcendance, à la pleine-conscience : il peut d’une certaine manière se rapprocher de ce que nous avons vu chez  Nam June Paik et des religions asiatiques qui prônent l’oubli de ce qui est matériel afin d’élever son esprit vers d’autres réalités.

Barnett Newman  https://leclownlyrique.files.wordpress.com/2011/09/irving-penn-barnett-newman-1966.jpg

Barnett Newman

Barnett Newman s’est également penché sur les théories de l’art, et en a lui-même produit. Dans ses articles « The New Sense of Fate » et « The Sublime Is Now » (5), l’artiste revient sur les théories du Beau idéal, et notamment du style grec, qui ont influencé les artistes européens. Il critique le fait que les Européens aient toujours voulu représenter la Beauté à travers la recherche d’une forme pure. Il oppose par ailleurs l’art géométrique pur, hérité des Grecs, à un art symbolique mal compris qui avait été instigué par les Egyptiens. Pour lui, « the notion of beauty is a fiction » (la notion de beauté est une fiction) (6) c’est-à-dire que la Beauté n’existerait pas en tant que telle, et elle ne serait surtout pas visible à travers une beauté formelle, ce qui fait que les artistes américains, coupés de cette culture européenne, peuvent trouver une autre porte de sortie ce qui les mènerait vers une autre dimension (« I believe that here in America, some of us [the artists], free from the weight of European culture, are finding the answer, by completely denying that art has any concern with the problem of beauty […]. Je crois qu’ici, en Amérique, certains d’entre nous [les artistes], libéré du poids de la culture européenne, sommes en train de trouver la réponse, en niant complètement le fait que l’art ait quoique ce soit à voir avec le problème de la beauté […]). Il montre qu’il y aurait une forme de suprématie des avant-gardes américaines (en l’occurence l’expressionnisme abstrait) par rapport à l’art européen, désormais désuet, car elles peuvent produire des images accessibles à tous, qui parleraient à l’esprit de chacun : « we are creating images whose reality is self-evident » (7) (nous sommes en train de créer des images dont la réalité est évidente en soi).

Barnett Newman, Onement I, 1948, huile sur ruban et sur toile, 69,2 x 41,2 cm, New York, The Museum of Modern Art.

Prenons désormais l’œuvre Onement I, pour appliquer ces concepts abstraits à cette œuvre plus concrète. Au premier regard, nous sommes renvoyés au caractère frontal de la toile, à sa bidimentionnalité : tout n’est que couleur, nous ne distinguons pas de forme particulière, hormis cette ligne qui scinde le tableau en deux parties égales. Toutefois, plus nous l’observons, et plus nous nous rendons compte des variations de couleur qu’il peut y avoir : du marron clair sur les côtés, du marron foncé, et de l’orange. La ligne qui est par ailleurs tracée n’est pas droite, ses contours sont flous et elle déborde sur les deux panneaux qu’elle divise (or nous savons que Newman avait la capacité de faire des lignes droites comme dans The Promise, datée de 1949, et toile non moins intéressante). La clé de ce tableau réside dans ce zip qui résume à la fois toutes les inspirations et références de Newman, et la finalité de sa peinture : il veut immerger le spectateur par la couleur, tout en lui offrant un moyen de sortir, de s’évader de la réalité d’où le fait que les formats de ses peintures ne cesseront de s’agrandir. Il recherche le degré 0 de la peinture, une peinture de l’absolu.

Newman, The Promise, 1949, huile sur toile, 130,8 x 173 cm, Whitney Museum of American Art, New York. http://collection.whitney.org/object/12937, [consulté le 29 mars 2015]

Newman, The Promise, 1949, huile sur toile, 130,8 x 173 cm, Whitney Museum of American Art, New York.
http://collection.whitney.org/object/12937, [consulté le 29 mars 2015]

Audrey S.

  • (1), Tate Gallery, in Barnett Newman, http://www.tate.org.uk/art/artists/barnett-newman-1699, [consulté le 17 mars 2015].
  • (2), Museum of Modern Art, in Barnett Newman, http://www.moma.org/collection/object.php?object_id=79601, [consulté le 29 mars 2015].
  • (3), HESS, T. B., Barnett Newman, cat.exp., Etats-Unis, New York, Contemporary Art Center, Museum of Modern Art, 1971, p38.
  • (4), TUCHMAN, M. [et al.], The Spiritual in art : abstract painting 1890-1985, New York, Etats-Unis, Abbeville Press, 1986.
  • (5) in Barnett Newman: selected writings and interviews, Berkeley, Etats-Unis, 1992, respectivement p. 164‑170 et p. 170‑173.
  • (6) NEWMAN, Barnett, « The New Sense of Fate », in Barnett Newman: selected writings and interviews, Berkeley, Etats-Unis, 1992, p. 164‑170.
  • (7) NEWMAN, Barnett, « The Sublime Is Now », in Barnett Newman: selected writings and interviews, Berkeley, Etats-Unis, 1992, p. 170‑173.Sources :
  • GLASER, D-J., « Transcendence in the Vision of Barnett Newman », The Journal of Aesthetics and Art Criticism, vol.40, n°4, été 1982, p415-420, consulté in Jstor, http://www.jstor.org/stable/429972, [consulté le 29 mars 2015].
  • NEWMAN, Barnett, « The New Sense of Fate », in Barnett Newman: selected writings and interviews, Berkeley, Etats-Unis, 1992, p. 164‑170.
  • NEWMAN, Barnett, « The Sublime Is Now », in Barnett Newman: selected writings and interviews, Berkeley, Etats-Unis, 1992, p. 170‑173.
  • TUCHMAN, M. [et al.], The Spiritual in art : abstract painting 1890-1985, New York, Etats-Unis, Abbeville Press, 1986.
  • VANEL, H., « Newman Barnett – (1905-1970) », Encyclopædia Universalis [en ligne], URL : http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/barnett-newman/, [consulté le 29 mars 2015].

Kandinsky et son arc noir

 'Wassily Kandinsky - Aquarelle / Watercolours', Catalogue 108, Galerie Thomas, 2008

‘Wassily Kandinsky – Aquarelle / Watercolours’, Catalogue 108, Galerie Thomas, 2008

Wassily Kandinsky (1866-1944) est un des plus grands réformateurs de l’art du XXème siècle. L’homme de la Renaissance moderne a abandonné sa carrière à l’université de Dorpat en 1896 pour effectuer une des plus spectaculaires révolutions de la peinture depuis des siècles. Apres son départ de Russie il s’est installé à Munich pour se consacrer à ses études de peinture et commencer son projet sur l’évolution de l’art. Pendant ses années d’études, il a voyagé dans toute l’Europe où il a eu l’occasion de découvrir la peinture de grands maîtres tels que Picasso et Matisse, qui ont eu une grande influence sur sa peinture. Il a admiré Matisse « pour la couleur » et Picasso « pour la forme« . Ce qu’il a justifié par dévouement dans une grande partie de son livre  Du spirituel dans l’art  (1912).  À Munich, il a été actif dans plusieurs groupes artistiques comme Phlanax  (1901-1904),  N.K.V.M  (1909) mais la grande révolution est marquée par le la fondation du groupe Le Cavalier bleu en 1911. Avec sa « Première aquarelle abstraite » en 1910 il a commencé la réforme esthétique qui a donné la base du développement d’un nouveau mouvement : « l’Art abstrait».  Deux ans après, dans ses séries « Improvisations » et « Compositions » il a créé une œuvre mystérieuse  Bild mit schwarzen bogen c’est-à-dire Le Tableau avec l’arc noir.

Wassily Kandinsky,   Tableau avec l’Arc noir - Bild mit schwarzen bogen,   1912, Munich, Huile sur toile, 188 x 196 cm, Paris, Musée National D’art Moderne - Centre Georges Pompidou

Wassily Kandinsky,
Tableau avec l’Arc noir – Bild mit schwarzen bogen, 1912, Munich,
Huile sur toile, 188 x 196 cm, Paris, Musée National D’art Moderne – Centre Georges Pompidou

Le « Tableau avec l’arc noir » est un des premiers tableaux de Kandinsky qui ne représente rien de la réalité. Cependant, c’est un des plus beaux exemples qui montre parfaitement sa philosophie de l’harmonie des formes et des couleurs. Il a été créé à partir de la technique très populaire aux Pays-Bas, depuis le XV siècle, de l’huile sur toile. Il mesure 188 cm par 196 cm. Dans son livre Du spirituel dans l’art, Kandinsky réfléchit à l’art au sens abstrait et aux étapes dont il a besoin pour inventer la  «composition pure». La «forme» et la «couleur» constituent la base de la «composition». Sur le Tableau à L’arc noir on a l’occasion d’admirer la théorie esthétique de Kandinsky.

Quand on regarde pour la première fois cette grande oeuvre abstraite, on a l’impression que cette composition a été créée par un jeu des formes et de contrastes de couleurs qui sont organisés autour du point central de tableau qu’est l’arc noir. La composition réunit trois masses de couleurs : bleu, rouge et violet. La forme «bleue» émerge du coin en bas à gauche, elle traverse l’espace en allant du blanc-jaune jusqu’au rouge orange. Pour Kandinsky le bleu est une couleur «typiquement céleste». La jaune est «la couleur typiquement terrestre dont la violence peut être pénible et agressive» La chaleur du jaune avec le froid du bleu créent un contraste très vivant et «dynamique». Le blanc est comme «un silence» Face à elles, se trouve la couleur typiquement chaude et très vivante, le «rouge vermillon» qui «donne l’impression de force, d’énergie, de fougue, de décisions, de joie, de triomphe». Au dessous des formes bleue et rouge, on peut trouver la silhouette violette qui a été créée par un montage des couleurs bleu et rouge. Selon Kandinsky, «le violet procède d’un recul du rouge provoqué par le bleu». Dans son oeuvre Kandinsky se borne à utiliser seulement des couleurs «simples entre la naissance et la mort» qui créent une composition de  contrastes de couleurs comme bleu- jaune, blanc- noir, rouge-vert, violet-orangé. Le point le plus important dans cette composition est l’arc noir qui lie toutes ces formes, traverse l’espace et donne un effet dynamique dominant le tableau par sa force et son énergie. L’arc noir est une ligne qui rapproche les trois formes qui bataillent entre elles par des contrastes de couleurs. C’est l’expression du conflit entre  «l’esprit» et «la matière», problématique centrale de cette oeuvre.
La musique a également une grande influence sur l’art abstrait et le travail de Kandinsky. Ici, on peut voir comment, à l’aide des couleurs, Kandinsky crée une symphonie qui donne l’impression que la beauté fait sa promenade jusqu’à son esprit pour découvrir sa pure création spirituelle. En regardant ce tableau on a l’impression que l’on voit un fragment de l’Opéra dans lequel l’arc noir est le chef d’orchestre qui dirige la toile. Avec ce tableau, Kandinsky, a provoqué des sentiments, il nous donne l’occasion de réfléchir un peu plus,  de découvrir  des émotions que crée le mystère de l’arc noir.  Le « noir» pour Kandinsky est comme «un néant sans possibilités, un néant mort après que le soleil s’est éteint, un silence éternel sans avenir ni espoir, voila la résonance intérieure du noir». C’est la même chose qu’en musique « ce qui y correspond, c’est la pause qui marque une fin complète, qui sera suivie ensuite d’autre chose peut-être comme la naissance d’un autre monde. Car tout ce qui est suspendu par ce silence est fini pour toujours: le cercle est fermé». Kandinsky ne considère pas, ici, les formes et l’arc seulement comme des «matières»  qui ne représentent rien du monde réel mais comme des effets spirituelles «si on ne voit pas que l’objet lui-même et qu’on l’étend simplement à son nom, il se forme dans la tête de l’auditeur une représentation abstraite, un objet dématérialisé qui éveille immédiatement dans le «cœur» une vibration». Kandinsky avec cette oeuvre ouvre la porte de notre imagination. Il compare l’arc noir à la «clé de l’énigme» qui doit ouvrir les portes qui nous donnent la chance d’éprouver du spirituel dans l’art parce que « la beauté de la couleur et de la forme n’est pas un but suffisant de l’art». Nous avons besoin de quelque chose d’inestimable, que l’esprit nous montre des choses plus pures, plus merveilleuses, créant des effets spirituels clairs où la couleur touche l’âme.

Arnold Schoenberg, 1911  New Year’s wishes (12 Dec. 1911) of Schoenberg to Kandinsky

Arnold Schoenberg, 1911
New Year’s wishes (12 Dec. 1911) of Schoenberg to Kandinsky

Wassily Kandinsky a créé ce tableau en 1912, la même année qu’est édité l’Almanach du Cavalier bleu et évidement on peut voir  son influence dans le tableau à l’arc noir: des articles d’esthétique d’art mélangés avec des essais de philosophie ou de la musique de Schönberg, c’est tout cela qui compose cette huile. On peut dire que cette peinture n’est pas seulement un bel exemple de philosophie de Kandinsky, il est un miroir de la philosophie allemande idéaliste, de son groupe qui a révolutionné l’art au XXème siècle. Avant la première de cette grand oeuvre, Kandinsky revenait de deux expositions du Cavalier Bleu  où il a présenté ses «Improvisations». Ces événements sont restés très fameux dans le monde de l’art. Surtout la première exposition de son groupe et un scandale à propos de la Composition V.  En automne 1912 Kandinsky propose au directeur de le Galerie Der Sturm à Berlin un échange  de son Imprévision XXVII avec le Tableau avec l’Arc noir. Cette transaction a montré combien Kandinsky tenait à ce tableau qui, après sa Première aquarelle abstraite et Composition V est une des œuvres les plus importantes dans sa carrière à Munich. Les expériences de Kandinsky avec les formes et les couleurs ont permis d’inventer un nouveau style de peinture qui donne le début de l’expression des émotions plus seulement par des formes et des sujets réalistes.

Vraisemblablement l’artiste s’est rendu compte que les peintures qui ne reprennent rien de la réalité ont une très grande puissance. Quand il a vu un tableau, qu’il a admiré, il s’est approché un peu plus près et a reconnu un des siens à l’envers. A ce moment il a compris que les objets nuisent aux œuvres.

Les oeuvres de Kandinsky sont des phénomènes à son époque à coté de grand maîtres comme Mondrian ou Malevich. Ses oeuvres sont comme des peintures de Leonardo da Vinci à la Renaissance, de Caravaggio au Baroque, Delacroix au Romantisme, Klimt à la Sécession ou Monet en impressionnisme. Le Tableau avec l’arc noir est une oeuvre emblématique de cet artiste. Il mélange toute sa philosophie, représentant le monde spirituel la route pour découvrir l’âme. Dans ce tableau là, on peut trouver tout ce qui est important pour l’auteur : les couleurs qui composent l’harmonie avec la forme, un point dynamique avec l’arc noir qui domine ce tableau avec son expression et l’ensemble qui donne l’impression d’une composition dramatique qui éveille les sentiments très graves du spectateur grâce à sa composition. Cela forme un triangle qui, selon Kandinsky représente la vie spirituel de l’homme. Cet ensemble crée une oeuvre exceptionnelle et unique qui, avec sa bataille de couleurs et un angle qui essaye de forcer le rapprochement des trois blocs, crée une symphonie musicale et nous invite dans un monde philosophique. Cette oeuvre est importante parce qu’elle montre que les considérations de Kandinsky sont vraies. Nous n’avons pas besoin des objets pour sentir que notre imagination nous a donné la possibilité d’ouvrir notre esprit à des émotions et des sentiments nouveaux. Dans ce tableau Kandinsky a réussi à montrer le conflit entre le matériel et le spirituel par la forme abstraite et des couleurs qui vibrent sur le tableau comme des organismes vivantes.

composition-v-1911

Wassily Kandinsky 1911 Huile sur toile 190 x 275 cm Collection privé

Wassily Kandinsky a préparé les spectateurs avec sa Composition V sur l’art qui «ne cherche pas à propager une forme d’art précise et spéciale mais [dont le] but est de démontrer par la diversité des formes représentées combien les aspirations intérieures des artistes peuvent revêtir d’expressions variées».

J’ai choisi cette oeuvre à cause de la mystérieuse et splendide méthode avec laquelle il provoque des sentiments, en mélangeant la musique à la peinture autour de la philosophie de l’âme. Ce n’est pas un tableau simple dont on peut tout voir en quelques minutes. A chaque fois que je regarde cette oeuvre je vois des éléments que je n’avais pas remarqués la première fois. A chaque fois, elle me donne des émotions fortes qui augmentent à chaque moment que je passe sur ce tableau. Kandinsky a crée un tableau exceptionnel, incroyable et vraiment emblématique qui provoque le spectateur par la puissance des couleurs et de la forme. A l’intérieur, il explique toute la philosophie de la vie spirituelle de l’humanité qu’il décrit dans Du Spirituel dans l’Art. Il présente une influence des couleurs sur la sensibilité des hommes. Avec ce tableau il encourage a ouvrir son esprit, à trouver notre âme spirituelle et à comprendre que l’art ce n’est pas seulement de belles images, «l’art ressemble à la religion sous bien des aspects». 

Wassily Kandinsky at work, Neuilly-sur-Seine (France), 1936 -by Bernard Lipnitzki

Wassily Kandinsky at work, Neuilly-sur-Seine (France), 1936 -by Bernard Lipnitzki

Gabriela P.

Sources: 

Franz Marc et la recherche de spiritualité

Franz Marc est né en 1880 à Munich dans le contexte dit de « l’année des peintres », à l’apogée de Kirchner et Hoffman, fondateurs du Die Brucke. Il grandit au sein d’une famille protestante, ce qui fait de lui un homme très ouvert d’esprit. Franz Marc s’est intéressé à la peinture grâce à son père, lui-même artiste-peintre. Il devient peintre animalier, graveur, pastelliste, aquarelliste, lithographe ou encore écrivain. En 1937, Marc fait partie des artistes exposés par les nationaux-socialistes à l’exposition « d’art dégénéré ». En effet, un mouvement est né contre l’Art Moderne : celui de l’expressionnisme que nous pouvons rattacher à une partie de la carrière de Marc.

Un évènement majeur marque l’évolution picturale de Marc : sa rencontre avec  Kandinsky à l’exposition NKVM ce qui aboutira à la création, un an plus tard, du Blaue Reiter. Marc surmonte l’impressionnisme, il développe son propre style expressionniste dans lequel la couleur joue un rôle fondamental. La traduction naturaliste des animaux dans sa peinture ne le préoccupe pas du tout mais il s’intéresse à ses sentiments profonds pour en donner sa propre perception des choses. Son travail le conduit ensuite à découvrir l’abstraction, qu’il n’eut pas le temps d’exploiter à cause de la Première Guerre Mondiale et qui fera disparaître le nom de Franz Marc.

Le cavalier bleu et son cheval, 1912, Encre et encre de Chine, 15,4 x 11,4 cm, Munich, Bayerische Staatsgemaldesammlugen

Le cavalier bleu et son cheval, 1912, Encre et encre de Chine,                     15,4 x 11,4 cm,                          Munich, Bayerische Staatsgemaldesammlugen

Nous ne pouvons pas dire que Franz Marc a simplement été un peintre expressionniste car il a évolué avec ses idées, cherchant son propre style. Il était en même temps peintre expressionniste et artiste abstrait. Dans ses tableaux, l’expressionnisme se manifeste par la liberté de son art : il déforme la réalité pour inspirer au spectateur des réactions émotionnelles. Toutefois, nous pouvons voir que sa méthode diffère du pur expressionnisme allemand car Marc ne déforme pas la réalité (déformation caractéristique  du mouvement), il cherche quelque chose de plus spirituel, de plus noble. Dans son travail, il se concentre sur la présentation du monde terrestre, sur la recherche de l’harmonie et du pur spirituel. Il représente les animaux d’une manière pure et belle, comme s’il s’agissait de la matière de l’âme elle-même.

Quand on pense à la théorie des couleurs on pense à Kandinsky, qui en 1911 a publié son traité « Du Spirituel dans l’art » où il montre et explique la signification et la force spirituelle des couleurs. Cependant, il n’était pas seul à s’intéresser à la recherche essentielle des couleurs. Franz Marc pendant la recherche de son prote style, porte une grande partie de son travail sur la signification des couleurs. Comme Kandinsky, il cherche quelque chose plus céleste, plus pur. «Marc s’était depuis longtemps occupé de la théorie des couleurs sans remettre en question les anciennes règles d’emploi des cultures complémentaires ». Cependant, la révolution avait eu lieu à la fin de l’année 1910 quand Marc a trouvé ses propres visions et idées avec l’aide de son ami August Macke. Il s’est séparé des artistes qui prenaient la lumière pour de la couleur. Il explique que la couleur est quelque chose de totalement différent et qu’on ne peut pas mélanger ces deux choses. Il a cherché la simplification chromatique et formelle, l’harmonie, le spirituel du monde terrestre. Il abandonné le phénomène du cercle chromatique, il était opposé à la théorie de la représentation des couleurs primaires à côté des couleurs secondaires. Il pensait que les couleurs complémentaires se recentraient seulement au coeur des objets et qu’on ne pouvait jamais les voir ensembles.

The Little Blue Horses,         1911, huile sur toile,          61 x 101 cm,          Staatsgalerie,    Stuttgart, Germany

The Little Blue Horses,                                                 1911, huile sur toile,
61 x 101 cm,
Staatsgalerie,
Stuttgart, Germany

C’est ce qu’il explique dans une lettre adressée à August Macke en décembre 1910 : « Le bleu est le symbole du principe masculin, rude et spirituel. Le jaune est très peu présent : symbole de la femme, de la douceur, de la sensualité et de la gaieté. Rouge combattu (en arrière-plan) par les deux autres (jaune et bleu) symbolisant l’attribut de la matière, lourd et brutal. » « Les couleurs transposent les symboles animaliers sur les autels d’une religion à venir, les transforment en support d’expression du spirituel, ce concept idéal, inaccessible, auquel le Cavalier Bleu consacre son œuvre et la richesse de ses idées. »

Dans sa théorie Marc se réfère à sa couleur préférée, le bleu, la signification du masculin et du spirituel.  Il explique encore une fois le rapport entre les couleurs primaires « malgré toutes les analyses spectrales, je ne peux pas refaire la croyance du peintre que le jaune (la femme) est le plus proche de la terre rouge que le bleu, le principe masculin. Il aborde les couleurs secondaires (vert, violet et orange) qui sont les résultats du mélange de deux couleurs primaires et leur rapport avec les couleurs complémentaires – « le bleu et le orange un ton absolument solennel »

Dans les étapes de la création d’oeuvres, sa théorie des couleurs joue un grand rôle pour Macke, Delaunay et certains futuristes. Il s’occupe de la théorie de la relation entre les couleurs complémentaires et des contrastes stimulants. Macke lui montre la route de l’harmonie entre les couleurs, Delaunay explique que la couleur est pour lui l’objet qui est le plus important dans le tableau et même les futuristes ont un grand rôle dans la création de ses propres idées. Grâce à eux, il a rencontré la simultanéité et la vitesse des couleurs.
La totalité de sa théorie des couleurs présente la série des tableaux représentant son sujet préféré : les chevaux. Il représente avec l’aide des couleurs primaires et leurs complémentaires les bleus, jaunes et rouges, expliquées par sa propre idée de la signification.

Ses tableaux se caractérisent par sa touche large et puissante, par des couleurs intense et pures. C’est en 1913 que nous pouvons voir apparaître des touches abstraites dans sa peinture avec l’insertion de motifs géométriques. Il reste toujours fidèle à l’importance de l’objet dans le tableau. Cependant, sa peinture évolue grâce aux impulsions des futuristes et au contact de Delaunay : elle est devenue plus géométrique, plus construite. Marc commence à peindre des toiles non figuratives et en conséquence son sujet préféré – les animaux – prend de moins en moins d’importance dans ses toiles. Marc n’utilise désormais plus les animaux comme objet de sa recherche de spiritualité ou pour représenter sa personnalité, ses sentiments et son âme.

Blue Horse with Rainbow (Blaues Pferd mit Regenbogen), 1913, Watercolor, gouache and pencil on paper, 16,5 x 26cm, john S. Newberry Collections, copyright: MoMa

Blue Horse with Rainbow (Blaues Pferd mit Regenbogen), 1913, Watercolor, gouache and pencil on paper, 16,5 x 26cm, john S. Newberry Collections, copyright: MoMa

Dans la lettre adressée à Maria Marc, datée du 12 avril 1915, Marc écrit le résumé de son travail artistique : « Et à partir de l’animal, un instinct me poussa vers l’abstrait qui m’excitait encore plus : je ressentis très tôt l’être humain comme un être « laid » ; l’animal me semblait plus beau, plus pur, je découvrais cependant en lui aussi tant de choses contraires aux sentiments et laides, que mes représentations revinrent instinctivement de plus en plus schématiques et abstraits ».

Marc décède en mars 1916 sur le front de la Premier Guerre Mondiale, près de Verdun. Cet accident tragique met fin à sa très riche carrière. Dans les mémoires de l’histoire de l’art, Marc devient un peintre extraordinaire, ses œuvres ont changé la vision et le traitement de l’art.

Gabriela P.

Sources:

Nam June Paik et la recherche de la pleine-conscience

Nam June Paik est né à Séoul le 20 juillet 1932, dans une famille issue de la bourgeoisie coréenne. Il suivra des cours de musique (principalement du piano) et étudiera la philosophie de l’art et l’histoire de la musique qui le conduiront à faire la connaissance de John Cage en 1958, rencontre décisive pour la suite de son œuvre. En mars 1963 a lieu la première grande exposition de l’artiste à la Galerie Parnasse à Wuppertal en Allemagne : il jette les prémices de ce que sera l’art vidéo. Il a également appartenu au groupe Fluxus, mais il en fut éjecté du fait d’une œuvre trop individuelle par rapport aux aspirations collectives du groupe. Il décède en 2006.

Nam June Paik est un artiste intéressant du point de vue de la thématique que nous traitons, puisqu’une inspiration religieuse asiatique a beaucoup marqué son œuvre : il tire son inspiration du zen, du bouddhisme, du shintoïsme ou encore du taoïsme. Il a également proposé une réflexion sur notre société du point de vue des médias, de l’impact des images, de la publicité ou encore de la télévision. Cette réflexion se mêle aux inspirations spirituelles de Nam June Paik, ainsi qu’à son admiration pour Marcel Duchamp ce qui donnera naissance à l’art vidéo, un art hybride, entre installation et sculpture, art visuel et art auditif. La vocation de son art est d’ouvrir l’esprit du spectateur et de le pousser à réfléchir sa place dans la société, voire à méditer.

« Marcel Duchamp a tout fait sauf la vidéo. Il a fait une grande porte d’entrée et une toute petite porte de sortie. Cette porte-là, c’est la vidéo. C’est par elle que vous pouvez sortir de Marcel Duchamp. », Nam June Paik.

Nous pourrions alors prendre l’exemple d’une de ses œuvres emblématiques de son art : TV Buddha, qu’il crée en 1974, et conservée à Amsterdam, à la Stedelijk Museum. La sculpture donne à voir un bouddha assis en tailleur faisant face à un téléviseur. Une camera le filme en continu et est connectée à la télévision en circuit-fermé. Celle-ci projette l’image de Bouddha qui se retrouve donc face à lui-même en train de se regarder… continuellement.

Paik, TV Buddha, 1974

Nam June Paik, TV Buddha, 1974, techniques mixtes, 55 x 115 x 36 cm, Amsterdam, Stedelijk Museum. http://stedelijk.nl/en/artwork/1545-tv-buddha.

Pour pouvoir comprendre l’œuvre de Nam June Paik, il faut rappeler les influences auxquelles l’artiste a été soumis. John Cage et Marcel Duchamp ont effectivement eu une grande influence sur l’artiste. Dans un premier temps, c’est Cage qui lui donne le goût pour la musique, Nam June Paik fera notamment de nombreuses références au piano de Cage et plus largement à la manière dont il concevait la musique. Lors de l’exposition à la Galerie Parnasse à Wuppertal en 1963, il réalise Zen for Walking qui n’est autre qu’une directe de Cage. C’est une performance au cours de laquelle Paik promène un violon derrière lui : il détourne un instrument de musique pour produire un son qui n’a rien à voir avec ce qu’il est censé émettre. Il y a par ailleurs, une dimension absurde à promener un violon, ce qui question le sens des gestes et des actions que nous faisons. Dans un second temps, Paik s’inscrit dans la lignée des héritiers de Marcel Duchamp puisqu’il va détourner les objets de leur usage premier pour les poser en œuvres d’art. Ce ne sont pas des objets lambdas du quotidien qui vont l’intéresser, comme Duchamp l’a fait (rappelons son célèbre Urinoir), mais il jette son dévolu sur un objet particulier et omniprésent : la télévision. Il inscrit ainsi son art dans l’ère du temps, dans une ère technologique de mass-médias et de consommation.

Paik, Zen for Walking, 1963Nam June Paik, Zen for Walking, 1963. http://www.independent.co.uk/migration_catalog/article5268313.ece/alternates/w620/Paik%20geige%20.jpeg.

TV Buddha s’inscrit dans cet héritage d’idées liées à une remise en question de la place de l’art. Nous pouvons y retrouver le silence de l’œuvre 4’33’’ de Cage : aucun bruit n’émane de la sculpture, pas même de la télévision, censée être un objet bruyant, de « communication » et qui s’avère ici être silencieux. Les bruits ou sons qui seront produits, seront ceux des spectateurs que l’œuvre renverra à eux-mêmes et à leurs questions. Cette œuvre doit être mise en relation avec la philosophie du bouddhisme et du zen (en raison de la présence du Bouddha) que l’on retrouve chez Paik, et qui avait fortement influencé Cage, au contact de D. T Suzuki, professeur de philosophie zen. Pour comprendre le zen, nous pouvons nous aider d’une citation de Suzuki : « Dans le zen, il n’y a pas de formes, de consciences, d’oreilles, de nez, de langues, de contacts, d’objets (…) il n’y a point de connaissance, point d’ignorance, point d’extinction, il n’est point de vieillissement ni de mort, et il n’est point de connaissance de l’illumination » (dans Essai sur le bouddhisme zen). Le plus important est donc de réussir à détacher son esprit de son corps, à ne plus se poser de questions, à être entre l’existence et la non-existence, dans une non-perception, sans plus ressentir de souffrances ou de crainte et dont le but final est d’atteindre le Nirvana. Et c’est bien ce type d’atmosphère que l’on retrouve ici : le silence de l’œuvre, en plus d’une possible référence à l’art de Cage, est aussi un moyen d’arriver à une forme de méditation de réflexion qui peut nous aider à faire le vide intérieur.

Au delà de cet aspect spiritualiste, au centre de notre problématique, il faut toutefois mentionner le fait qu’il y a une vocation à interroger de la part des artistes, et à ouvrir une réflexion notre environnement, notre manière de vivre, et même sur les attitudes aberrantes de notre humanité, et ses absurdités. Paik le concentre dans cette sculpture sous la forme de contradictions : Bouddha est une figure ancestrale placée face à deux objets issus d’une société moderne ; la philosophie extrême-orientale se confronte à la civilisation occidentale ; c’est un moment suspendu contre la vitesse de la vidéo (comme il s’agit toujours de la même image, on a l’impression d’un temps suspendu, arrêté alors qu’en réalité l’installation est un circuit-fermé : la caméra filme bien le temps qui passe). C’est une œuvre riche, qui fait appelle à une multitude de notions contradictoires qui coïncident avec les idées que nous avons pu voir : il n’y a pas de catégories, tout peut être réuni dans une seule et même œuvre.

Le silence de la sculpture nous apparaît alors plus éloquent que jamais puisqu’elle permet de produire un discours, une réflexion qui nous questionnent davantage que s’il y avait du bruit. Est-ce que Paik ne nous proposerait-il pas un miroir de notre société ? Si Bouddha est hermétique, sans aucune expression ou émotion qui aurait pu nous indiquer ses pensées, il nous renvoie à nous-mêmes à notre société de consommation, à l’origine de la création d’outils tels que la télévision ou la caméra. Cette œuvre nous offre un instant de calme, de sérénité dans une société où tout ne cesse d’aller plus vite : le Bouddha, restera là, assis, impassible, immobile perdu dans la contemplation d’une image qui renvoie à tellement plus qu’elle même.

Audrey S.

Sources :

  • FARGIER, J.-P., « PAIK NAM JUNE – (1932-2006) », Encyclopædia Universalis [en ligne], URL : http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/nam-june-paik/, [consulté le 18 octobre 2014].
  • SHIN LEE, J., L’Objet banal en tant qu’œuvre d’art : chez Marcel Duchamp et Nam June Paik, Thèse de doctorat, Université Panthéon-Sorbonne, 1997, 350 p.