Mark Rothko (1903-1970), de son vrai nom Marcus Rothkowitz originaire de Russie, est venu habiter aux Etats-Unis à l’âge de 10 ans. Il a suivi des études d’art dans un premier temps à Yale entre 1921 et 1923, puis à l’Art Students League de New York sous la direction de Max Weber. Il commença à exposer ses peintures à partir de 1933 (1). Il met fin à ses jours en 1970.
Rothko est un artiste complexe, dont la peinture reflète les multiples facettes de sa personnalité : il commence par peindre des œuvres plutôt figuratives dites de la période de la « figuration expressionniste »(2), puis il continue à peindre en étant influencé par le surréalisme (« Je me dispute avec l’art surréaliste et avec l’art abstrait comme on se dispute avec un père et une mère »(3)) qui traduira son attachement pour les mythes. Nous pouvons voir l’un de ses tableaux de « jeunesse », Tête de femme, radicalement différent des œuvres qu’il produira par la suite, qui s’inscrirons dans le mouvement de l’expressionnisme abstrait. Il entretient en effet des liens très étroits avec Barnett Newman avec qui il établit un nouveau mouvement pictural et pose les fondements d’une avant-garde américaine afin de se distinguer complètement de l’art européen. Newman et Rothko feront partis des colorfield painters c’est-à-dire qu’ils privilégieront des aplats de couleurs vives (4) dans le but de supprimer toute profondeur en perspective, et ainsi immerger le spectateur dans une nouvelle dimension.
Le choix du terme « dimension » n’est pas un hasard puisqu’il faut remarquer que Rothko a notamment été influencé par son mentor Max Weber, mais aussi par d’autres auteurs tels que Guillaume Apollinaire ou encore P. D. Ouspensky qui se sont penchés sur la question de la quatrième dimension. Pour ces penseurs du début du XXe siècle, la quatrième dimension est liée à l’infini et à la pleine-conscience (« The fourth dimension is the immensity of all things and the dimension of infinity », M. Weber in Camera Work 31 (5) [la quatrième dimension est l’immensité de toute chose et la dimension de l’infini]), où tous nos repères spatio-temporels non plus lieu d’exister. Les artistes auront donc vocation à créer un nouveau langage pour délivrer la Vérité (« […] to create a new language that would reveal a higher truth »(6). Mark Rothko s’inscrira dans la continuité de ces artistes grâce à ses peintures, nourries de la philosophie de ses prédécesseurs.
C’est à partir de 1948 que la peinture de Rothko commence à montrer des signes d’expressionnisme abstrait. Il accorde de plus en plus d’importance aux couleurs et aux relations entre l’espace de sa peinture et l’échelle de ses toiles (7), qui sont en général de très grands formats. Toutefois, on peut déceler des différences entre les peintures No.1 (1948) et No.10 (1950) notamment dans la simplification des formes et des couleurs, ainsi que dans le changement du format puisqu’on passe d’un format presque carré à un format rectangulaire étiré en hauteur comme si Rothko avait voulu simplifier sa peinture et la faire coïncider avec la hauteur d’un homme afin d’immerger davantage le spectateur.
La peinture de Mark Rothko est par conséquent une peinture immersive qui trouve sa source à la fois dans les théories philosophiques du début du XXe siècle ; mais aussi dans la physique avec la théorie de la relativité d’Einstein qui fait précisément référence à cette quatrième dimension ; ou encore au sublime des Romantiques que Newman avait repris dans ces essais… L’abstraction en peinture est souvent à considérer au-delà des simples pigments qui composent la toile, elle peut être considérée comme la traduction physique et tangible de réflexions philosophiques et mystiques. Ces peintures auront ainsi vocation à nourrir la spiritualité de chaque individu, d’élever son esprit, à condition que ce dernier puisse prendre le temps de se laisser immerger par elles.
Audrey S.
Notes :
- (1) Tate Gallery, in Mark Rothko, http://www.tate.org.uk/art/artists/mark-rothko-1875, [consulté le 12 avril 2015].
- (2) CHASSEY, E. de, « ROTHKO MARK – (1903-1970) », Encyclopædia Universalis [en ligne], URL : http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/mark-rothko/, [consulté le 12 avril 2015].
- (3) Déclaration personnelle in PORTER, D., Personal Statement, Painting Prophety, The Gallery Press, Washington, 1950 repris in COHEN-SOLAL, A., « Entre surréalisme et abstraction 1944-1947 », in Mark Rothko, Arles, France, Actes sud, impr. 2013, 2013, p. 107‑123.
- (4) RMN, « L’Expressionnisme abstrait américain », http://www.grandpalais.fr/fr/article/lexpressionnisme-abstrait-americain, [consulté le 15 avril 2015].
- HENDERSON, L-D., « Mysticism, Romantism and the Fourth Dimension », in The Spiritual in art : abstract painting 1890-1985, New York, Etats-Unis, Abbeville Press, 1986, p. 219‑233.
- Ibid.
- (7) MoMA, « Mark Rothko, No.1 (Untitled) », http://www.moma.org/collection/browse_results.php?criteria=O%3AAD%3AE%3A5047%7CA%3AAR%3AE%3A1&page_number=8&template_id=1&sort_order=1, [consulté le 15 avril 2015].
Sources :
- CHASSEY, E. de, « ROTHKO MARK – (1903-1970) », Encyclopædia Universalis [en ligne], URL : http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/mark-rothko/, [consulté le 12 avril 2015].
- COHEN-SOLAL, A., Mark Rothko, Arles, France, Actes sud, impr. 2013, 2013, 283 p.
- MoMA, « Mark Rothko, No.1 (Untitled) », http://www.moma.org/collection/browse_results.php?criteria=O%3AAD%3AE%3A5047%7CA%3AAR%3AE%3A1&page_number=8&template_id=1&sort_order=1, [consulté le 15 avril 2015].
- RMN, « L’Expressionnisme abstrait américain », http://www.grandpalais.fr/fr/article/lexpressionnisme-abstrait-americain, [consulté le 15 avril 2015].
- TUCHMAN, M. [et al.], The Spiritual in art : abstract painting 1890-1985, New York, Etats-Unis, Abbeville Press, 1986.