Barnett Newman et le mysticisme

Newman, Sans titre, 1945, 1945, encre sur papier, 50,8 x 37,8 cm, The Metropolitan Museum of Art, New York.

Newman, Sans titre, 1945, 1945, encre sur papier, 50,8 x 37,8 cm, The Metropolitan Museum of Art, New York.

Barnett Newman (1905 – 1970) est connu pour avoir été l’un des chefs de file de l’Expressionnisme Abstrait (appellation qui n’a jamais été revendiquée par le peintre), mouvement caractéristique des Etats-Unis. Ce qui a participé à la particularité de ce peintre c’est qu’il a procédé à une destruction de ses œuvres dites « de jeunesse » (1), ce qui fait qu’il nous reste peu de ses peintures datées d’avant 1940. En 1948, il peint Onement I : c’est sans doute l’œuvre qui aura marqué un tournant décisif dans la carrière de Newman. En effet, il abandonne l’agencement de différentes formes sur ses toiles comme dans ce dessin non-titré, daté de 1945 et conservé au Metropolitan Museum of Art, pour se consacrer à un épurement de ses peintures. Celles-ci se caractériseront désormais par des aplats de couleurs dont la seule structure visible émanera de ce qui deviendra sa signature : les zips (2).

Des écrits de l’artiste subsistent et nous permettent de comprendre quelles ont été ses influences. Ses toiles relèvent de l’abstraction, et en cela, elles font appel à d’autres dimensions, il dit par ailleurs : « The present painter is concerned not with his own feelings or with the mystery of his own personality but with the penetration of his own mystery »(3) (le peintre actuel n’est pas seulement concerné par ses propres sentiments ou par le mystère de sa propre personnalité, mais par la clairvoyance de son propre mystère/mysticisme). Cela peut nous paraître quelque peu hermétique de prime abord, mais il faut comprendre les références de Newman à savoir le mystery qui correspond davantage à une forme de mysticisme qu’à un simple mystère. Appuyons-nous sur la définition que nous trouvons dans le catalogue d’exposition, The Spiritual in art : abstract painting 1890-1985 : le mysticisme vient du terme grec mustēs qui signifie « initié », qui vient lui-même de muein dont le sens est de « fermer les yeux (ou la bouche) ». Aujourd’hui, ce terme est lié, même s’il s’en différencie, aux sciences occultes, à l’ésotérisme, à la magie : à ce qui est donc spirituel (4). Le mysticisme fait référence à la transcendance, à la pleine-conscience : il peut d’une certaine manière se rapprocher de ce que nous avons vu chez  Nam June Paik et des religions asiatiques qui prônent l’oubli de ce qui est matériel afin d’élever son esprit vers d’autres réalités.

Barnett Newman  https://leclownlyrique.files.wordpress.com/2011/09/irving-penn-barnett-newman-1966.jpg

Barnett Newman

Barnett Newman s’est également penché sur les théories de l’art, et en a lui-même produit. Dans ses articles « The New Sense of Fate » et « The Sublime Is Now » (5), l’artiste revient sur les théories du Beau idéal, et notamment du style grec, qui ont influencé les artistes européens. Il critique le fait que les Européens aient toujours voulu représenter la Beauté à travers la recherche d’une forme pure. Il oppose par ailleurs l’art géométrique pur, hérité des Grecs, à un art symbolique mal compris qui avait été instigué par les Egyptiens. Pour lui, « the notion of beauty is a fiction » (la notion de beauté est une fiction) (6) c’est-à-dire que la Beauté n’existerait pas en tant que telle, et elle ne serait surtout pas visible à travers une beauté formelle, ce qui fait que les artistes américains, coupés de cette culture européenne, peuvent trouver une autre porte de sortie ce qui les mènerait vers une autre dimension (« I believe that here in America, some of us [the artists], free from the weight of European culture, are finding the answer, by completely denying that art has any concern with the problem of beauty […]. Je crois qu’ici, en Amérique, certains d’entre nous [les artistes], libéré du poids de la culture européenne, sommes en train de trouver la réponse, en niant complètement le fait que l’art ait quoique ce soit à voir avec le problème de la beauté […]). Il montre qu’il y aurait une forme de suprématie des avant-gardes américaines (en l’occurence l’expressionnisme abstrait) par rapport à l’art européen, désormais désuet, car elles peuvent produire des images accessibles à tous, qui parleraient à l’esprit de chacun : « we are creating images whose reality is self-evident » (7) (nous sommes en train de créer des images dont la réalité est évidente en soi).

Barnett Newman, Onement I, 1948, huile sur ruban et sur toile, 69,2 x 41,2 cm, New York, The Museum of Modern Art.

Prenons désormais l’œuvre Onement I, pour appliquer ces concepts abstraits à cette œuvre plus concrète. Au premier regard, nous sommes renvoyés au caractère frontal de la toile, à sa bidimentionnalité : tout n’est que couleur, nous ne distinguons pas de forme particulière, hormis cette ligne qui scinde le tableau en deux parties égales. Toutefois, plus nous l’observons, et plus nous nous rendons compte des variations de couleur qu’il peut y avoir : du marron clair sur les côtés, du marron foncé, et de l’orange. La ligne qui est par ailleurs tracée n’est pas droite, ses contours sont flous et elle déborde sur les deux panneaux qu’elle divise (or nous savons que Newman avait la capacité de faire des lignes droites comme dans The Promise, datée de 1949, et toile non moins intéressante). La clé de ce tableau réside dans ce zip qui résume à la fois toutes les inspirations et références de Newman, et la finalité de sa peinture : il veut immerger le spectateur par la couleur, tout en lui offrant un moyen de sortir, de s’évader de la réalité d’où le fait que les formats de ses peintures ne cesseront de s’agrandir. Il recherche le degré 0 de la peinture, une peinture de l’absolu.

Newman, The Promise, 1949, huile sur toile, 130,8 x 173 cm, Whitney Museum of American Art, New York. http://collection.whitney.org/object/12937, [consulté le 29 mars 2015]

Newman, The Promise, 1949, huile sur toile, 130,8 x 173 cm, Whitney Museum of American Art, New York.
http://collection.whitney.org/object/12937, [consulté le 29 mars 2015]

Audrey S.

  • (1), Tate Gallery, in Barnett Newman, http://www.tate.org.uk/art/artists/barnett-newman-1699, [consulté le 17 mars 2015].
  • (2), Museum of Modern Art, in Barnett Newman, http://www.moma.org/collection/object.php?object_id=79601, [consulté le 29 mars 2015].
  • (3), HESS, T. B., Barnett Newman, cat.exp., Etats-Unis, New York, Contemporary Art Center, Museum of Modern Art, 1971, p38.
  • (4), TUCHMAN, M. [et al.], The Spiritual in art : abstract painting 1890-1985, New York, Etats-Unis, Abbeville Press, 1986.
  • (5) in Barnett Newman: selected writings and interviews, Berkeley, Etats-Unis, 1992, respectivement p. 164‑170 et p. 170‑173.
  • (6) NEWMAN, Barnett, « The New Sense of Fate », in Barnett Newman: selected writings and interviews, Berkeley, Etats-Unis, 1992, p. 164‑170.
  • (7) NEWMAN, Barnett, « The Sublime Is Now », in Barnett Newman: selected writings and interviews, Berkeley, Etats-Unis, 1992, p. 170‑173.Sources :
  • GLASER, D-J., « Transcendence in the Vision of Barnett Newman », The Journal of Aesthetics and Art Criticism, vol.40, n°4, été 1982, p415-420, consulté in Jstor, http://www.jstor.org/stable/429972, [consulté le 29 mars 2015].
  • NEWMAN, Barnett, « The New Sense of Fate », in Barnett Newman: selected writings and interviews, Berkeley, Etats-Unis, 1992, p. 164‑170.
  • NEWMAN, Barnett, « The Sublime Is Now », in Barnett Newman: selected writings and interviews, Berkeley, Etats-Unis, 1992, p. 170‑173.
  • TUCHMAN, M. [et al.], The Spiritual in art : abstract painting 1890-1985, New York, Etats-Unis, Abbeville Press, 1986.
  • VANEL, H., « Newman Barnett – (1905-1970) », Encyclopædia Universalis [en ligne], URL : http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/barnett-newman/, [consulté le 29 mars 2015].

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